Pour une République plus populaire.

Auteur Dominique Fausser, le 18 janvier 2012.

Il suffit de prendre en exemple la République Française, pour constater que le pouvoir à l’Assemblée nationale est très nettement détenu par les classes supérieures de la société.

Sur 577 députés, on ne trouve que 23 employés et fonctionnaires de catégories C, et aucun ouvrier. 17  sont agriculteurs, 22 sont des pensionnés et retraités civils, 17 sans profession déclarée et le bataillon écrasant des 498 autres députés (86 %) sont des chefs d’entreprises, des cadres salariés du secteur privé ou public, des professions libérales (avocats, médecins, consultants) ou intellectuelles (journalistes, professionnels de la politique).

Ce pouvoir est aussi essentiellement masculin, malgré des lois censées favoriser la parité en politique : 82 %, des députés sont des hommes et 15 des 16 commissions parlementaires sont présidées par un homme (soit un ratio de 86 %). La seule commission présidée par une femme est celle des affaires culturelles et de l'éducation, exemple même du cliché des missions susceptibles d’être dévolues aux femmes dans une société patriarcale.

L’âge moyen des députés au 13 janvier 2012 est de 59 ans 6 mois.

Pour résumer, l’Assemblée nationale française est dominée par les classes dirigeantes patriarcales.

Certes, le pouvoir politique attire naturellement ceux qui ont l’ambition de l’exercer et l’ambition est l’un des caractères attachés aux classes dirigeantes. La conquête du pouvoir est culturellement rattachée à des valeurs guerrières, valeur essentiellement masculine.

L’exercice du pouvoir politique est donc très éloigné de la représentation sociologique fidèle de la société, comme cela se confirme dans toutes les démocraties à modèle occidental.

La raison en est simple. Les candidatures aux législatives passent nécessairement par le filtre des partis politiques qui financent les campagnes de leurs candidats. En France, ce financement est assuré essentiellement sur des fonds publics, l’aide de l’État étant principalement calculée en fonction des résultats électoraux de chaque parti sur les différents types de scrutins locaux et nationaux.

De ce fait, l’impétrant candidat doit déjà le plus souvent mener un long parcours semé d’embûches au sein des instances de son parti pour se faire désigner, ce qui mobilise une énergie qui n’est pas à la portée du citoyen ordinaire, qui lui est naturellement plus préoccupé à subvenir à ses besoins quotidiens, tant matériels que familiaux.

Il en ressort une nécessaire professionnalisation du mandat de député qui est plus à la portée des classes dirigeantes et masculines. Le député perçoit des indemnités directes et indirectes généreuses, d’un niveau correspondant à celui du revenu d’un cadre supérieur, indemnités souvent augmentées par cumul avec d’autres mandats (maire, conseiller territorial, président d’intercommunalités, etc.)

Même si le versement des indemnités est réalisé par l’Assemblée nationale sur des fonds puisés originellement sur le budget de l’État, son employeur effectif donneur d’ordres est son parti politique. Dans toutes les républiques à modèle occidental, se sont presque toujours les partis politiques qui désignent leurs députés, même si cette règle n’est pas inscrite dans les lois ou les constitutions. En France, l’Assemblée nationale n’est composée que de députés qui ont été soutenus par un parti politique lors de leur élection.

Plus le parti disposera de voix aux élections, plus dans les faits il percevra de subsides pour assurer son développement, que ce constat résulte des faits en cas de financements par les acteurs économiques, ou du droit en cas de financement public. De bons résultats lui permettent de payer ses permanents politiques et ses salariés, de financer ses actions de promotion et ses campagnes électorales, de disposer de moyens matériels. Ce mécanisme entre les résultats électoraux et les capacités de financement des partis professionnalise la fonction politique.

Dans les républiques où le financement des partis passe par des lobbys économico-financiers, ceux-ci ne sont accordés que si le lobby a de réels espoirs de pouvoir influer dans la sphère politique. Le financement s’inscrit dans une logique de rendement économique. Les lobbys ont donc alors intérêt à ne l’accorder qu’aux seuls partis ayant des chances réelles de prendre le pouvoir ou d’influer significativement sur lui. Ce mouvement d’efficacité économique concentrationnaire rend exsangue les partis minoritaires en les confinant irrémédiablement à un état embryonnaire. Il n’est donc guère étonnant que ce soit les États unis, qui illustrent l’un des modèles phares de ce type de financement privés des partis politiques. Seuls deux partis se partagent invariablement le pouvoir : les républicains et les démocrates.

Ce mode de financement privé explique aussi que la histoire de la diplomatie américaine soit dominée par la défense des intérêts marchands et la promotion de l’expansionnisme capitaliste américain.

Force donc est de constater que l’élection n’assure pas un mode fidèle de représentation du peuple. Le pouvoir est de facto retiré à la jeunesse, aux classes les plus modestes de la société, et dans laquelle les femmes sont reléguées le plus souvent à des rôles subalternes.

Dans la pratique, nos républiques à modèle occidental ne sont donc pas des démocraties, mais des aristocraties : le pouvoir politique est confisqué par un petit groupe de personnes issues de classes sociales dominantes. Ce constat n’est pas nouveau, puisqu’il y a plus de deux mille trois cents ans, Aristote exposait déjà que « Le droit d'élection accordé à tous avec l'éligibilité à quelques-uns est un système aristocratique. » (Politiques, Live VI (4), Chapitre XII p 355.

Cette aristocratie varie selon les modes électoraux, le type de financement des campagnes électorales (sur fonds publics ou privés) et selon l’histoire et la culture de chaque pays.

Cette aristocratie peut revêtir une forme timocratique (exercée par « des hommes en quête d’honneurs et de richesses » : La République de Platon, livre VIII,) car dominée par l’arrogance des détenteurs de capitaux, telle la démocratie américaine, ou comme beaucoup de pseudo démocraties nées d’une nomenklatura déchue qui s’est emparée du pouvoir économique, comme en Russie.

Cette aristocratie peut s’être construite sur une élite issue des classes intellectuelles et de la haute fonction publique comme en France :

- près de la moitié des députés sont des professions libérales, des cadres dirigeants ou des chefs d’entreprise,

- plus d’un tiers sont des cadres de la fonction publique.

Mais dans chacun de ces deux modèles, on trouvera des ingrédients de l’autre : les pouvoirs de l’argent ont besoin d’une caution morale de représentation intellectuelle pour éviter d’afficher trop visiblement leur brutalité.

Les castes intellectuelles dominantes sont issues de classes sociales aisées qui ne restent pas insensibles aux charmes des détenteurs du pouvoir économique et l’on trouve souvent au sein d’eux quelques chefs d’entreprises entreprenants.

Mais, il n’existe aucun mode idéal de désignation des responsables politiques.

Comme nous l’avons constaté, une désignation des députés par élection engendre nécessairement une aristocratie. Même si le pouvoir accordé à un élu se remet en cause à chaque renouvellement électoral, les électeurs mécontents ne feront que changer les têtes sans pouvoir changer la caste dirigeante.

Par ailleurs, la désignation des députés par un tirage au sort n’est pas envisageable. C’est avec raison que Socrate disait qu’« il était folie de vouloir désigner les responsables politiques par tirage au sort, alors que personne ne veut s'en remettre à un tirage au sort pour le choix d'un pilote, d'un charpentier, d'un joueur de flûte ou de tout autre ouvrier du même genre, dont les fautes sont bien moins nuisibles que celles de ceux qui gouvernent l'État » (Mémoriales de Xenophon, Livre Ier, chapitre 6)

Mais la solution tend à rechercher un système idéal de désignation des responsables politiques, ce qui relève de l’utopie, même le perfectionner reste un objectif qu’il ne faut jamais perdre de vue. Elle est plutôt dans la recherche d’un système de contrôle efficace et continu du pouvoir politique par le peuple.

Ainsi, si l’élection paraît être le mode de représentation des législateurs le plus pertinent, son pouvoir devrait pouvoir être contrôlé régulièrement par les citoyens selon des moyens ordinaires, et non seulement par les voies exceptionnelles et parasismiques de l’émeute populaire ou de la grève générale.

Cette régulation citoyenne pourrait s’effectuer par une assemblée populaire désignée au sort, parmi les citoyens (les personnes inscrites sur les listes électorales), assemblée ainsi en miroir de la composition du peuple. Cette assemblée forme l’opinion publique.

L’opinion publique ne doit pas être confondue avec les voies de consultation du peuple par des organismes de sondage d’opinion. Cette opinion publique est distincte de la somme des opinions individuelles qui la compose. Elle se construit au sein d’une collégialité d’échanges d’idées pour exprimer au final une opinion collective en capacité d’exercer un pouvoir de décision.

Je souhaite que les pouvoirs dévolus à cette assemblée soient de deux ordres :

- Le droit de veto (le pouvoir de s’opposer) aux lois votées par l’Assemblée nationale. Chaque nouvelle loi lui est soumise avant son entrée en vigueur. Ce droit de veto ne pouvait s’exercer que si une majorité renforcée s’oppose au texte. Par exemple : deux tiers des membres de l’assemblée populaire doivent voter contre la loi pour empêcher sa mise en vigueur. Un tel droit de veto pourrait aussi s’exercer sur certains domaines de compétences du pouvoir exécutif de l’État, spécialement dans les régimes présidentiels comme en France : les décisions les plus structurantes de la vie politique prises par le Président de la République seraient soumises à ce droit de veto.

- Un droit de saisine de l’assemblée nationale. L’assemblée populaire aurait le pouvoir de voter des motions intimant à l’assemblée nationale de légiférer dans un domaine particulier en fonction d’un objectif à atteindre. Ce type de motion pourrait être adopté à la majorité simple des membres composant l’assemblée populaire.

Les principes régissant le fonctionnement de l’assemblée populaire pourraient respecter les principes suivants :

- Le nombre de députés populaires serait égal, voire supérieur, au nombre des députés nationaux et ces députés disposeraient de leur propre organisation parlementaire. Au passage, pour les institutions françaises, soulignons que cette réforme s’effectuerait sans grands frais, voir même avec des économies. Le Sénat qui n’a déjà plus de justification d’existence serait supprimé et ses moyens et son personnel affecté à la nouvelle assemblée populaire. Le Sénat est censé représenter les collectivités territoriales françaises selon l’article 24 de la constitution et comme l’explique le mode de désignation des sénateurs par des collèges de Grands Électeurs. Or la décentralisation donne déjà suffisamment de pouvoirs aux élus locaux au sein de leur territoire sans en rajouter au niveau national.

On peut aussi sérieusement envisager une diminution du nombre de députés de l’Assemblée nationale française.  Alors que le Congrès des États-Unis américain qui rassemble le Sénat et la Chambre des représentants comprend 535 élus, la France aligne 925 parlementaires (577 députés et 348 sénateurs). Pour une population presque 5 fois inférieure à celle des États-Unis, la France comprend presque deux fois plus de parlementaires. Il est temps pour l’État français de faire des économies budgétaires dans ce domaine d’autant plus que le nombre d’élus locaux en France tient de la véritable folie, avec les conséquences qui s’en suivent en versement d’indemnités diverses et surcoûts de fonctionnement.

- L’organisation du tirage au sort des députés populaires est réservée à une institution indépendante, garante des libertés publiques. En France, ce rôle ressort tout naturellement du pouvoir judiciaire, et pourrait être exercé sous le contrôle direct du Conseil supérieur de la magistrature. Le tirage au sort parmi les inscrits sur la liste électorale est accompagné d’une liste complémentaire. Cette liste permet notamment de remplacer les tirés au sort qui ne souhaiterait pas assumer cette fonction pour des motifs légitimes. Une limite d’âge me paraît utile, sachant que les personnes âgées sont déjà surreprésentées dans les assemblées nationales. Parmi les tirés au sort, ne peuvent être écartés de leur mandat que les illettrés reconnus comme tel après leur période de formation (voir plus loin).

- Les députés populaires disposent des mêmes droits, notamment indemnitaires, et des mêmes obligations que les députés nationaux avec comme obligation supplémentaire, celle d’une présence et d’une participation effective au travail de l’assemblée populaire.

- La durée de mandat est identique à celle des députés nationaux (exemple : 5 ans en France), à laquelle s’ajoutent deux périodes qui pourraient être de six mois : préalablement à l’exercice de leur mandat et postérieurement, en formation de conversion à la vie professionnelle pour ceux qui le souhaitent. Les membres de la liste complémentaire pourraient volontairement suivre le cycle de formation et seraient indemnisés pendant cette période à hauteur de l’indemnité parlementaire.

- Pour assurer d’une part la proximité temporelle du lien entre les députés populaires avec la population et d’autre part, une continuité dans la transmission du savoir entre les députés populaires, l’objectif est d’arriver à renouvellement régulier des députés populaires par vague annuelle (en régime de croisière de la vie cette institution, pour un mandat de 5 ans, 20 % des députés nationaux seraient renouvelés tous les ans).

- Seuls les députés populaires disposant déjà d’une expérience suffisante de leur mandat peuvent nommer parmi eux le président et les vice-présidents de leur assemblée et les présidents et vice-présidents des commissions parlementaires, par exemple, après de 2 années d’exercice.

Voilà l’un moyen de résoudre l’antagonisme des régimes politiques républicains soulevé par Aristote entre oligarchie et démocratie, résumé ainsi par Ludovic Carrau :

 « IV. Comparaison de la théorie des gouvernements dans Platon et dans Aristote.

 Deux principes sont également vrais, selon Aristote : le premier, nous l'avons vu, c'est que l'égalité politique doit exister entre tous les citoyens, que tous ont les mêmes droits; l'autre, c'est que l'inégalité de mérite entraîne nécessairement une inégalité dans le partage des honneurs et dans les fortunes. Donc l'égalité et l'inégalité sont toutes deux naturelles, et rien n'est plus difficile que de maintenir entre elles un juste tempérament. Tantôt l'égalité est en excès, tantôt c'est l'inégalité. De là deux sources de révolutions, les unes provoquées par les vices d'une inégalité arbitraire, les autres, par ceux d'une égalité absolue.

Dans le premier cas, l'aristocratie ou l'oligarchie se change en démocratie ; dans le second, la démagogie devient oligarchie. Toute révolution est ainsi une revendication plus ou moins fondée soit en faveur de l'égalité légitime, soit en faveur de l'inégalité qu'impliquent les différences de fortune ou de talent. »

La république de Platon, huitième livre, Éditeur : Delalain (Paris) 1881.- Extrait tiré de l’introduction de Ludovic Carrau, Ch. V. Appréciation du huitième livre de la République, sous Chap. IV. Comparaison de la théorie des gouvernements dans Platon et dans Aristote.

Nul doute aussi que l’institution d’une assemblée populaire, outre qu’elle pèsera pour une meilleure prise en compte des intérêts des populations les plus modestes, changera radicalement le mode de travail parlementaire.

Les textes de loi devront être plus intelligibles et efficaces pour éviter la censure, l’expérience des députés populaires acquise en fin de mandat fait que plusieurs d’entre eux finiront par rejoindre les partis politiques ou en créeront de nouveau. Les électeurs les retrouveront comme candidats à des élections. Le cycle du pouvoir électif détenu et entretenu par des castes dominantes, s’il perdure encore, perdra néanmoins beaucoup de son influence.

Malheureusement une telle démocratie a peu de chance de s’imposer à l’initiative des détenteurs actuels des pouvoirs politiques. Une première expérience ne sera probablement tentée qu’après une révolution populaire renversant un régime politique tyrannique, ou alors dans une situation exceptionnelle de crise dans laquelle la caste dominante deviendrait consciente qu’elle est en phase de perdra toute crédibilité et qu’elle estimerait comme un moindre mal pour ses intérêts d’intégrer dans le mode de fonctionnement de ses institutions une assemblée populaire. 

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